Plaidoyer pour recueillir les données sur la COVID-19 liées à l’ethnicité des individus
Écrit par Radio Centre-Ville sur 7 juin 2020
Le député néo-démocrate Matthew Green s’inquiète de voir qu’au Canada il y a plus de décès liés à la COVID-19 dans les communautés « racialisées » que dans la population en général. Selon lui, le gouvernement fédéral échoue à la tâche parce qu’il ne collecte pas les données ethnographiques qui aideraient à protéger ces populations vulnérables.
C’est clair qu’on voit les points chauds, comme à Montréal-Nord ou dans les banlieues défavorisées de Toronto
, indique Matthew Green, député de Hamilton-Centre, en Ontario. Des communautés moins bien nanties et à forte concentration d’immigrants.
Mais ce qui manque, ce sont les données scientifiques pour prouver hors de tout doute
que les communautés ethniques sont plus fortement touchées que les autres.
De nombreuses voix comme la sienne s’élèvent depuis quelques semaines pour demander à Ottawa de forcer les provinces à récolter ce genre de données ethnographiques.
Matthew Green, député néo-démocrate de Hamilton-Centre.
Photo : Radio-Canada
Les gens ne meurent pas seulement de la COVID-19, mais aussi en raison du racisme. Ce n’est pas une hyperbole, c’est la réalité.
D’autres pays, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, recueillent des données sur la COVID-19 liées à l’ethnicité des individus morts ou infectés. Mais pas le Canada. C’est de la discrimination institutionnelle
, selon Matthew Green.
Il n’y a pas de chiffres pour le prouver
Frantz André connaît bien sa communauté de Montréal-Nord, parce qu’il en foule les trottoirs tous les jours. C’est l’épicentre géographique, mais aussi socio-économique, de la COVID
, laisse entendre le porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut. Moi, je le vois. Mais il n’y a pas de chiffres pour le prouver
, affirme-t-il.
Frantz André rappelle que sa communauté compte beaucoup d’employés précaires qui travaillent en première ligne, dans les épiceries, les entrepôts de livraison et les CHSLD.
Frantz André, porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut.
Photo : Radio-Canada
Ils sont plus exposés à la COVID-19, et ils ramènent le virus chez eux. Ils vivent en grand nombre à la maison, et donc ils contaminent plus rapidement les gens avec qui ils vivent.
Il n’est pas surpris de constater que les gens de sa communauté semblent contracter le virus dans une plus grande proportion que le reste de la population.
Il y a un lien entre la précarité économique et l’état de santé. Notamment pour les demandeurs d’asile ou les sans-papiers. Certains s’empêchent d’aller passer des tests parce qu’ils craignent que ça entraîne des problèmes avec l’immigration.
Frantz André croit lui aussi que les gouvernements devraient collecter des données sur l’ethnicité des gens atteints de la COVID-19. Avec des statistiques précises, on pourrait mieux cibler, éduquer, faire de la prévention dans les points de services fréquentés par ces communautés.
Aux États-Unis
Dans certaines régions des États-Unis, les Afro-Américains meurent plus de la COVID-19 que la population en général, selon une étude publiée dans le magazine Health Affairs. À Chicago, les Afro-Américains représentent plus de 70 % des décès liés à la COVID-19, alors qu’ils ne forment que 30 % de la population.
Le même déséquilibre est recensé en Louisiane. Dans l’État du Michigan, 40 % des décès liés à la COVID-19 sont des Noirs, alors qu’ils ne représentent que 14 % de la population.
Les risques de complications de la COVID-19, ajoutés à la prévalence plus élevée du diabète, de l’hypertension, de l’obésité et des maladies cardiaques chez les Afro-Américains
, aident en partie à expliquer cette disparité, selon les auteurs de l’étude.
Ils ajoutent cependant que les facteurs socio-économiques, comme « vivre dans un quartier défavorisé, à haut taux de criminalité, à haute densité et avec peu d’accès à des soins et à une nourriture saine », sont les facteurs déterminants.
Et au Canada?
Au Canada, impossible de savoir hors de tout doute si ces mêmes communautés culturelles sont touchées de la même façon, parce que la collecte de ce genre de données est inégale d’une région à l’autre, voire inexistante, dans certaines provinces.
Des magasins barricadés le long de la rue Queen West dans le centre-ville de Toronto en raison du confinement de la COVID-19.
Photo : CBC/Craig Chivers
Une des exceptions est Toronto. Le gouvernement provincial a publié des données par code postal pour montrer quelles régions étaient les plus touchées par la COVID-19.
En un seul coup d’oeil, on s’aperçoit que le nombre de cas est significativement plus élevé dans les banlieues moins bien nanties et à forte population immigrante.
Au Québec
Le ministère québécois de la Santé et des Services sociaux ne compile pas de statistiques en lien avec l’ethnicité de l’individu
, explique-t-on par courriel.
Bien que le ministère dit comprendre l’importance de cette question
et y être très sensible
, il a été décidé que dans le contexte actuel, tous nos efforts sont déployés pour protéger la population et les personnes infectées
.
C’est une erreur, selon le député du NPD Matthew Green. Il faut une loi pour forcer les provinces à collecter les données sur l’ethnicité des individus atteints de la COVID-19. Quand nous aurons une preuve scientifique, nous pourrons agir en conséquence pour mieux protéger ces communautés vulnérables.
Le député libéral de Bourassa, Emmanuel Dubourg, est d’accord avec son collègue néo-démocrate.
Mieux on va cibler les communautés, plus facilement la santé publique va prendre des actions pour dépister et pour éviter la propagation.
Le député libéral de Bourassa, Emmanuel Dubourg.
Photo : Radio-Canada
Avoir un portrait plus précis permettrait aussi de venir en aide aux organismes communautaires, qui aident ces populations et « qui sont à bout de souffle, à bout de ressources », dit le député Emmanuel Dubourg.
Il faudrait que ces ressources soient canalisées vers les endroits à risques, vers les épicentres, pense le député libéral, afin de défendre les populations les plus touchées.
En Ontario
Le gouvernement Ford vient de nommer Jane Philpott à titre de conseillère spéciale pour la création d’une plateforme de données sur la pandémie. L’ex-ministre fédérale de la Santé a l’intention de recueillir ces données ethnographiques.
Ça va aider à mieux comprendre où sont les populations plus vulnérables, améliorer la détection de la COVID et mieux réduire les éclosions.
Jane Philpott.
Photo : La Presse canadienne / DARRYL DYCK
On n’a pas de données assez spécifiques pour comprendre ces populations des communautés ethniques qui sont plus vulnérables. Si on comprend mieux, on peut donner plus de matériel et de ressources pour les aider
, ajoute la Dre Philpott.
Elle croit que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour encourager les provinces à compiler ces données. Jusqu’à maintenant, il n’existe pas de loi qui leur donne le droit d’imposer ces demandes-là, mais on peut changer la loi s’il y a assez de désir de la part du gouvernement.
Ottawa peu chaud à l’idée
Le gouvernement Trudeau ne semble pas chaud à l’idée de modifier la loi pour forcer les provinces à récolter ces données. Mais en coulisse, il essaie de convaincre les provinces de le faire.
Le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, reconnaît l’avantage de compiler ces statistiques. Les populations vulnérables, pauvres, isolées, craintives, elles sont trop souvent laissées à elles-mêmes.
Avec ces données, on va apprendre comment réduire la propagation dans un contexte
.
Mais il semble exister de nombreuses résistances provinciales, confie le Dr Howard Njoo, administrateur adjoint de la santé publique du Canada.
On est en train d’avoir des conversations très actives avec nos homologues de la santé publique dans les provinces
, explique le Dr Njoo. Il ajoute qu’il y a toujours des enjeux à discuter
, notamment au niveau technique et sur la confidentialité des données.