Québec sous-estime le nombre de décès, selon des médecins et des ambulanciers

Écrit par sur 15 avril 2020

Radio-Canada a appris que les corps de victimes suspectes ne sont presque jamais testés dans les résidences pour personnes âgées, que des médecins évitent de diagnostiquer le coronavirus et que bien des décès à domicile échappent aux statistiques.

Entre les chiffres annoncés quotidiennement par le trio Arruda-Legault-McCann et la réalité du terrain, il y a des différences qui faussent le bilan officiel des décès de la COVID-19 au Québec.

On sous-estime, affirme une médecin d’Urgences-santé, le service ambulancier qui dessert Montréal et Laval. On a sous-évalué tous les gens morts dans les semaines passées.

Cette médecin nous a demandé de taire son nom. Son témoignage a été corroboré par trois autres sources.

C’est facile de mettre un autre diagnostic que COVID, raconte-t-elle. Un autre médecin d’Urgences-santé renchérit : Il y a des docteurs frileux qui préfèrent déclarer une cause de pneumonie ou d’embolie pulmonaire. Ils sont plus à l’aise avec des maladies qu’ils connaissent.

Mais les mauvais diagnostics ne sont pas la seule explication de la sous-évaluation des décès du coronavirus au Québec.

Des tests post-mortem dans de rares exceptions

Le nombre d’écouvillons pour réaliser les tests de dépistage de la COVID-19 est limité.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Nous avons appris que la plupart des victimes suspectes de la COVID-19 ne sont pas testées après leur mort, lorsqu’elles se trouvent en résidence pour aînés et à leur domicile.

Au début, on testait les morts, puis ça s’est arrêté, sauf exception, explique une source à la santé publique. La principale raison invoquée est le manque de tests disponibles.

Bien des personnes âgées meurent rapidement de la maladie, en 24 ou 48 heures, elles n’ont donc pas eu le temps d’être testées de leur vivant. Et comme le gouvernement ne retient que les cas confirmés, plusieurs décès du coronavirus se retrouvent exclus des statistiques.

C’est ridicule, on ne peut pas faire notre travail.

C’est un grave problème en dehors des hôpitaux, ajoute cette source.

Mardi, le directeur national de santé publique du Québec, Horacio Arruda, a reconnu qu’on en a probablement échappé quelques-uns, mais pas de façon significative.

Tous les systèmes ont toujours sous-estimé les décès. En Italie, on pense qu’il y a peut-être eu trois à dix fois plus de cas que ce qui a été rapporté.

Le Dr Arruda a expliqué que même sans test, la santé publique peut confirmer des décès de la COVID-19 grâce à des « liens épidémiologiques ». Par exemple, si un résident meurt alors que plusieurs de ses voisins d’étage ont été déclarés positifs, on attribuera la même cause à son décès.

Mais cette technique ne peut pas s’appliquer à toutes les morts. C’est beaucoup plus difficile pour ceux qui décèdent à domicile, parfois seuls.

Par ailleurs, nous avons appris que ce n’est que le 10 avril que la santé publique et Urgences-santé ont mis en place un lien direct pour enquêter sur les cas suspects.

Des cas suspects ne se sont pas rendus aux oreilles de la santé publique

Urgences-santé remarque davantage de décès à Montréal et Laval au cours des derniers jours.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

La plupart des décès qui impliquent Urgences-santé surviennent à domicile. Souvent, des victimes vivant seules n’ont pas reçu de visites récentes en raison du confinement. Et si elles n’ont jamais été testées, personne ne peut alors témoigner de symptômes préalables. Difficulté supplémentaire : le corps des défunts ne présente aucun indice visible de la COVID-19.

Comme on ne se rend pas à l’hôpital, on ne peut pas le savoir, explique Réjean Leclerc, président du Syndicat du préhospitalier (FSSS-CSN). Je vous admets qu’on risque d’en échapper.

Si on les enterre et qu’on ne fait pas de test, on n’apprendra pas de cette pandémie.

Quand ils constatent un décès, les paramédics d’Urgences-santé communiquent par téléphone avec un médecin qui identifie la cause à distance. Le docteur remplit un formulaire baptisé SP3 et quand il a un doute, il écrit « soupçon COVID ».

Le problème, c’est que les cas soupçonnés ne sont pas inclus dans les statistiques officielles et jusqu’au 10 avril, les médecins d’Urgences-santé n’avaient pas à transmettre ces cas suspects à la santé publique.

Ça fait un mois qu’on questionne la santé publique, raconte une médecin d’Urgences-santé. Mais ils ne nous ont répondu que la semaine dernière.

La santé publique promet des données plus fiables

Certains médecins peuvent effectivement marquer “suspect COVID” et ça ne se rend pas nécessairement à la santé publique, admet Richard Côté, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Mais il rassure que le nouveau canal de communication mis en place vendredi permettra de limiter le nombre de victimes passées sous le radar et la santé publique pourra mieux enquêter et tisser des liens.

Maintenant que le bulletin de décès se rend à la santé publique, il y aura beaucoup de chances que les vrais cas ou les cas par lien épidémiologique soient rapportés et donc moins de chances d’en perdre.

La transmission des chiffres des CIUSSS vers le ministère de la Santé soulève aussi des questions dans le réseau. Lundi, Radio-Canada révélait que 33 décès de la COVID-19 sont survenus à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, alors que le bilan officiel faisait état de 5. Le gouvernement invoque des délais dans la communication des informations.

Au CHSLD privé Herron, à Dorval, 31 résidents sont morts en un mois, mais uniquement 5 décès ont été officiellement attribués à la COVID. Le bureau du coroner a ouvert une enquête.


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