« Pourquoi, moi, préposé aux bénéficiaires, j’ai démissionné »

Écrit par sur 14 mai 2020

« C’était l’enfer. Vraiment. Que ce soit au niveau administratif et au niveau de la charge de travail, c’est l’enfer. Mais en réalité, ce sont les contraintes administratives qui m’ont le plus dégoûté », répète Daniel Arsenault.

En fin de semaine passée, il a décidé de démissionner. Il a jeté l’éponge. À contre-cœur. Si j’avais pu continuer, je l’aurais fait. J’aurais pu encore donner un mois ou deux, le faire jusqu’à la fin de la crise, lance-t-il. Pourtant, il en a décidé autrement. La faute, clame-t-il, à la gestion, en interne, de ce paquebot qu’est le réseau de la santé.

Âgé de 62 ans, ce Montréalais ne s’attendait plus à remettre les pieds dans un établissement de soins. Pas à titre de préposé aux bénéficiaires en tout cas, un métier qu’il avait exercé durant plus de trois décennies dans un CHSLD de la métropole.

Sa retraite, il l’a prise il y a tout juste deux ans. Mais, à la mi-mars, alors que la crise n’en est qu’à ses balbutiements, ses anciens employeurs le contactent, l’interrogent pour savoir s’il est prêt à reprendre du service temporairement. Au cas où.

Il répond par l’affirmative. J’ai dit que je pouvais aider sans problème deux ou trois jours par semaine, souligne-t-il, en faisant référence notamment aux contraintes liées à son âge.

Ça me faisait plaisir de travailler, j’avais envie d’aider ces personnes démunies, qui sont seules, car leur famille ne peut pas les voir.

Direction l’Hôpital Notre-Dame et la fameuse zone chaude, au 5e étage, qui accueille les patients atteints de la COVID-19.

Daniel Arsenault, qui continuait de donner des formations liées à son métier, n’a pas perdu la main. Malgré l’équipement – on est habillés comme des cosmonautes –, au début, confie-t-il, staffé“,”text”:”tout s’est bien passé, on était bien protégé et bien staffé”}}” lang=”fr”>tout s’est bien passé, on était bien protégé et bien staffé.

Puis, tout s’est corsé et envenimé quelques jours plus tard.

Un rare témoignage

Le témoignage de ce préposé aux bénéficiaires, à visage découvert, est rare, tant les employés ont peur de parler publiquement. Depuis le début de la crise, Radio-Canada a reçu de nombreux témoignages, mais ces travailleurs demandent systématiquement l’anonymat, par crainte de représailles de leur employeur. « On nous l’interdit, affirme Daniel Arsenault. La ministre [de la Santé, Danielle McCann] dit que l’omerta doit cesser, mais on n’a pas le droit de parler aux médias. Moi, je n’en ai rien à cirer, je suis à la retraite maintenant. »

Parfois seul préposé avec plus de 30 patients

Au fil des jours, le manque de personnel se fait sentir. Alors qu’habituellement, dit-il, trois préposés s’occupent d’une trentaine de patients, essentiellement des personnes âgées, il se retrouve finalement, à plusieurs reprises, avec une collègue ou même tout seul.

Ça n’avait pas de bon sens, regrette-t-il, en parlant de journées épuisantes, d’impossibilité d’aller aux toilettes et de pauses repas raccourcies. Au mieux.

rush, c’est entre 16h et 19h. Il fallait alimenter les patients, leur donner à manger, leur passer de l’eau, préparer le linge. Il faut aussi, plus tard, les coucher, les changer. Mais quand tu rentres dans une chambre, on discute, on n’est pas des robots. Les gens veulent un peu jaser”,”text”:”Le rush, c’est entre 16h et 19h. Il fallait alimenter les patients, leur donner à manger, leur passer de l’eau, préparer le linge. Il faut aussi, plus tard, les coucher, les changer. Mais quand tu rentres dans une chambre, on discute, on n’est pas des robots. Les gens veulent un peu jaser”}}” lang=”fr”>Le rush, c’est entre 16 h et 19 h. Il fallait alimenter les patients, leur donner à manger, leur passer de l’eau, préparer le linge. Il faut aussi, plus tard, les coucher, les changer. Mais quand tu rentres dans une chambre, on discute, on n’est pas des robots. Les gens veulent un peu jaser, détaille-t-il.

Sans compter, précise-t-il, des décès à signaler, ainsi que des commandes et des médicaments à aller chercher quelques étages plus bas.

C’était très épuisant, mais on est le seul contact pour ces malades, ces personnes âgées qui sont un peu perdues.

Il y avait bien un peu d’aide, à l’étage, avec une infirmière ou un médecin présents, mais je ne pouvais pas les déranger tout le temps, dit-il. Il y avait de la solidarité, on nous aidait, un médecin venait passer de l’eau, mais ce n’est pas tous les médecins qui veulent mettre la main dans la merde, glisse-t-il.

Des travailleurs de la santé prennent en charge un patient arrivé en ambulance à l’Hôpital Notre-Dame de Montréal.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Obligation de travailler à temps plein

Ce n’est pas tout. À la fin d’avril, les ressources humaines le contactent et lui lisent le décret signé par la ministre McCann, qui permet d’obliger le personnel à temps partiel à travailler à temps complet. Il s’y oppose, en vain.

On m’a dit que je n’avais pas le choix, alors que j’étais à la retraite et que j’ai volontairement accepté d’aider, signale-t-il. J’étais brûlé.

On lui demande aussi de travailler sept jours consécutifs. Après plusieurs appels, il arrive finalement à insérer une journée de repos. Mais c’en est trop. Le 8 mai, il démissionne et ne cache pas, dans sa lettre, son écoeurantite aiguë.

On n’a pas respecté ma parole, mes disponibilités ni mon travail, déplore-t-il. J’étais venu tout pimpant, fier d’être là, puis j’ai été tout seul. Les douze travaux d’Astérix, c’est rien comparé à tout ce charabia administratif qu’on vit.

Cette rigidité du réseau de la santé, il ne la comprend pas. ans, on ne devrait pas t’obliger à être à temps plein. Pourquoi ne pas me garder, mais quelques jours dans la semaine? On se prive de monde. À 62ans, je suis plus facile à épuiser qu’à 20ans”,”text”:”Quand tu as plus de 55ans, on ne devrait pas t’obliger à être à temps plein. Pourquoi ne pas me garder, mais quelques jours dans la semaine? On se prive de monde. À 62ans, je suis plus facile à épuiser qu’à 20ans”}}” lang=”fr”>Quand tu as plus de 55 ans, on ne devrait pas t’obliger à être à temps plein. Pourquoi ne pas me garder, mais quelques jours dans la semaine? On se prive de monde. À 62 ans, je suis plus facile à épuiser qu’à 20 ans, lâche-t-il, désemparé.

Des collègues songent à voir un médecin, avance-t-il, afin d’obtenir un justificatif de maladie, pour avoir un peu de repos.

Des primes non versées

Comme d’autres travailleurs de l’Hôpital Notre-Dame qui ont contacté Radio-Canada, Daniel Arsenault dénonce le non-versement des primes promises. Contrairement à ce qui a été annoncé par le gouvernement, ils n’ont pas touché la prime de 8 %, réservée au personnel travaillant dans les zones chaudes, mais plutôt un complément de 4 %. Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal reconnaît le problème. « Nous sommes au courant de cette situation. Nous savons que ces sommes sont attendues et nous tenons à assurer que tous les employés qui y ont droit, et qui ne l’auraient pas reçue encore, recevront cette prime », précise Jean-Nicolas Aubé, porte-parole de l’établissement.

Le CIUSSS dément, des travailleurs confirment

Interpellé par Radio-Canada, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, responsable de l’Hôpital Notre-Dame, dément que des préposés puissent se retrouver seuls ou à deux avec une trentaine de patients. Ce n’est pas exact, nous ne ferons jamais de compromis sur la sécurité de nos usagers, soutient Jean-Nicolas Aubé, porte-parole de l’établissement.

Les préposés aux bénéficiaires ne sont pas laissés “seuls”, ils travaillent avec l’appui de toute l’équipe de soins présente qui contient, en plus des préposés, des infirmières et des infirmières auxiliaires, ajoute-t-il, tout en spécifiant que ces derniers doivent travailler à temps complet, et ce, dans les CHSLD et les hôpitaux.

Quatre autres travailleurs de l’Hôpital Notre-Dame, sous le couvert de l’anonymat, ont néanmoins confirmé ce témoignage à Radio-Canada. Les larmes aux yeux, une infirmière, qui s’est portée volontaire pour venir dans cet établissement, affirme que tout le monde est tanné en raison du personnel très réduit et des promesses.

À la télé, on ne parle que des CHSLD, on dit que dans les hôpitaux, tout va bien. Le premier ministre fait de beaux sourires, mais c’est l’enfer. Tout le monde ressent du découragement.

Une préposée, qui a côtoyé Daniel Arsenault, raconte les doubles quarts de travail dans une même journée. On nous fait comprendre qu’on n’a pas le choix. Une infirmière auxiliaire évoque le cauchemar qu’elle vit le week-end, car on manque encore plus de personnes.

Des déplacements entre les zones chaudes et froides sont également relevés, comme l’a signalé Radio-Canada.

Parfois, c’est inhumain, reprend une infirmière. On sort de la journée avec une telle migraine, on doit crier pour se parler à travers les masques et avec l’équipement, on a très chaud. C’est tellement lourd à enlever qu’on ne peut même pas aller aux toilettes. Il y en a qui ont fait des malaises. Il y a une grande différence entre ce qui est annoncé et ce qu’on vit vraiment.

Tout ça est vrai, juge quant à lui Hubert Forcier, porte-parole de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). Ce dernier assure avoir entendu de multiples témoignages similaires, à l’Hôpital Notre-Dame, mais aussi dans d’autres établissements.

Les gens viennent nous voir, nous parler pour décrier ces situations. Leurs conditions sont difficiles et l’employeur n’écoute pas le personnel sur le terrain, affirme Françoise Ramel, présidente par intérim de la section locale de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Ce sont des problèmes généralisés dans les régions chaudes, comme Montréal, Laval ou en Montérégie, explique Hubert Forcier. La surcharge de travail était déjà assez intense avant la crise, elle s’est accentuée. Les gens sont affaiblis, et maintenant, ils ont la crainte de ne pas avoir de vacances.


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