Le Québec en mal de patrimoine

Écrit par sur 2 juin 2020

Mercredi, la vérificatrice générale Guylaine Leclerc publiera un rapport attendu sur la gestion du patrimoine au Québec. Maison Boileau, église du Très-Saint-Sacrement, maison Busteed, le patrimoine fait la manchette pour les mauvaises raisons depuis deux ans.

Sous le regard impuissant des experts, autant que des passionnés d’histoire, de nombreux édifices historiques sont tombés sous le pic des démolisseurs pour faire place à des immeubles en copropriété, si ce n’est à des terrains vagues.

Plusieurs ont dénoncé une véritable hécatombe du patrimoine bâti au Québec, qui recèle un des parcs immobiliers historiques les plus impressionnants des Amériques.

La maison Boileau au moment de sa démolition

Photo : Radio-Canada / René Saint-Louis

Il y a péril en la demeure, estime le président de la Société d’histoire de Charlesbourg, Marc-André Bluteau. Comme plusieurs, il blâme les ratés de la Loi sur le patrimoine culturel adoptée en 2012, qui donne plus de responsabilités aux municipalités, mais pas nécessairement plus de ressources.

Si la ministre de la Culture, Nathalie Roy, est favorable à l’idée de changer la loi, pas question pour elle de proposer de solutions à long terme avant la publication du rapport de la vérificatrice indépendante.

Depuis l’application de la loi en 2012, la gestion du patrimoine au Québec a changé. Dans son rapport, la vérificatrice mesurera cette gestion.

Un héritage en ruine

Haut lieu de l’histoire de la Nouvelle-France, selon l’historien Gilles Gallichan, l’église Saint-François-d’Assise ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Quatre mois auront suffi pour démolir le bâtiment et, surtout, sa crypte, où Jacques Cartier aurait prié pour échapper au scorbut lors de son deuxième passage au Canada.

Tel que promis lors de la dernière campagne électorale, le gouvernement a annoncé qu’il consacrerait 20 millions de dollars à la restauration du patrimoine culturel à caractère religieux.

Visiblement, ça ne suffit pas. Toujours à Québec, l’église du Très-Saint-Sacrement, qui donne son nom au quartier qui l’entoure, pourrait bientôt connaître le même sort si ne se manifeste pas un acheteur prêt à verser les 3 millions de dollars nécessaires à sa sauvegarde. Plusieurs ont déjà perdu espoir, d’autant que le diocèse catholique lui-même s’oppose à ce que l’édifice soit classé patrimonial.

Clément Locat est président du comité du patrimoine de la Fédération Histoire Québec.

Photo : Radio-Canada / Alex Boissonneault

Le drame, c’est que pour un événement qui fait la une des journaux, il y a dix autres bâtiments qui sont démolis, et qui sont des bâtiments de grande valeur, laisse tomber Clément Locat, président du comité du patrimoine de la Fédération Histoire Québec.

La Loi sur le patrimoine culturel

Entrée en vigueur le 19 octobre 2012, la loi actuelle a remplacé la Loi sur les biens culturels de 1972. L’objectif de Québec était alors d’élargir la notion de patrimoine, pour qu’il comprenne autant les paysages culturels, le patrimoine immatériel et jusqu’à des événements ou des lieux historiques.

La nouvelle loi donne aussi davantage de responsabilités aux municipalités quant à la protection et à la valorisation du patrimoine. Ainsi, le patrimoine culturel, qu’il soit bâti ou non, peut faire l’objet d’un « classement » ou d’une « citation », selon qu’il soit protégé par Québec ou par une municipalité.

Un plan de conservation est alors mis en place, qui inclut des mesures de contrôle et des obligations pour le propriétaire. Ces derniers sont tenus par la Loi de prendre les mesures nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale de leur propriété.

Toute personne coupable d’une infraction à la Loi est passible d’une amende, qui peut varier de 500 $ à 1 140 000 $. Cette amende est doublée en cas de récidive.

D’une démolition à l’autre

La démolition à Chambly de la maison du patriote René Boileau a été pour M. Locat « l’électrochoc » qui aura eu au moins le mérite d’éveiller plusieurs consciences.

Bâti autour de 1820, témoin des rébellions de 1837-1838, l’édifice patrimonial a fini sous le pic des démolisseurs avec l’aval de la Municipalité. La Ville, qui avait fait l’acquisition de la maison, jugeait qu’il aurait coûté trop cher de la rénover.

Le choc n’aura cependant pas évité la démolition de nombreux autres édifices patrimoniaux dans les deux années qui ont suivi, de la maison Pasquier (vers 1700) en passant par la maison Livernois (1880) et le moulin Saint-Pascal (fin XVIIIe).

Villa Livernois, arrondissement les Rivières.

Photo : Courtoisie, Ville de Québec / Ville de Québec

Comme c’est presque toujours le cas, l’état de délabrement avancé d’un édifice laissé à l’abandon pendant plusieurs années sert de justification à l’octroi d’un permis de démolition.

Pour Marc-André Bluteau et Clément Locat, c’est même devenu la stratégie de certains promoteurs qui lorgnent des terrains occupés par des édifices historiques, souvent bien situés, pour leurs projets d’immeuble en copropriété ou de jumelé ultramoderne.

Une responsabilité partagée

Le patrimoine bâti bénéficie pourtant d’une protection légale au Québec, et ce, depuis les années 60. Néanmoins, depuis l’adoption en 2012 de la Loi sur le patrimoine culturel, le gouvernement du Québec partage avec les municipalités la responsabilité de protéger les édifices patrimoniaux.

L’intention était louable au départ, selon M. Locat, puisque l’objectif était de faire preuve de flexibilité avec des villes qui sont, comme gouvernement de proximité, les mieux placées pour savoir quel patrimoine vaut la peine qu’on protège. C’est ce qu’on appelle l’inventaire patrimonial.

Le problème, rappelle l’historien, c’est que les ressources humaines et financières n’ont pas suivi pour appuyer les petites municipalités, pour qui cette nouvelle responsabilité est un fardeau trop lourd à porter.

Contrairement à Québec ou à Montréal, villes et villages n’ont souvent pas les reins assez solides pour embaucher des experts en préservation du patrimoine ou venir en aide aux propriétaires des édifices au moyen de subventions, par exemple.

Le plan de soutien ponctuel de 30 millions de dollars annoncé en décembre dernier par la ministre Roy permet de soulager les municipalités, sans représenter une solution à long terme, selon Clément Locat.

Les passionnés en renfort

C’est pas un projet rationnel, un jeune couple ne peut pas se permettre ça, admet d’emblée Claude Arsenault, qui a fait l’acquisition d’un presbytère construit en 1834 à l’île Dupas, près de Berthierville.

Claude Arsenault (à droite) a acheté un ancien presbytère à l’île Dupas, près de Berthierville.

Photo : Radio-Canada / Alex Boissonneault

Comme la propriété ne compte sur aucune désignation officielle malgré sa valeur patrimoniale indéniable, aucune aide gouvernementale n’est prévue pour le charpentier-menuisier à la retraite, qui doit assumer seul le coût des travaux de rénovation dont sa maison a besoin.

Je ne dirais pas que c’est un gouffre sans fond, mais c’est énormément d’investissement : seulement pour l’extérieur, toiture de tôle, revêtement en pierre… c’est 100 000 $ pour remettre aux normes.

Pourtant, Claude Arsenault n’a aucun désir de voir sa maison désignée par sa municipalité, car il craint les obligations légales qui pourraient en découler, et une hausse de sa prime d’assurance.

Le résident de l’île fait partie de tous ces passionnés qui portent à bout de bras la protection de nombreux édifices historiques, sans recevoir un sou du gouvernement.

L’historien Clément Locat est convaincu que le Québec doit beaucoup aux gens comme lui, mais rappelle que la préservation du patrimoine ne peut reposer sur les épaules de quelques enthousiastes.

Des citoyens laissés à eux-mêmes

En revanche, si certains lieux historiques sont laissés à eux-mêmes, d’autres sont surprotégés, vous diront plusieurs résidents de l’île d’Orléans, dont l’ensemble du territoire a été déclaré site patrimonial.

En 1993, Roch Paradis a repris la maison de son père, qui lui-même l’avait acquise de son grand-père. Il songe aujourd’hui à se départir de la résidence familiale construite en 1915, incapable de payer le remplacement de sa toiture. Pour respecter les normes patrimoniales, la Municipalité exige un toit de tôle pour remplacer le bardeau actuel.

Comme son bien est classé, M. Paradis peut recevoir jusqu’à 35 000 $ de dédommagement de la MRC, sauf qu’aucun des entrepreneurs qu’il a consultés n’accepte de faire le travail pour moins de 99 000 $. 000$, je ne suis pas intéressé à mettre mon fonds de pension sur la toiture”,”text”:”Ma maison est évaluée à 300000$, je ne suis pas intéressé à mettre mon fonds de pension sur la toiture”}}” lang=”fr”>Ma maison est évaluée à 300 000 $, je ne suis pas intéressé à mettre mon fonds de pension sur la toiture, dit-il.

Cependant, le cas de M. Paradis n’a rien d’original, selon Caroline Roberge du Regroupement de citoyens du site patrimonial de l’île d’Orléans.

La maison de Roch Paradis, à l’île d’Orléans, a été construite en 1915.

Photo : Fournie par M. Roch Paradis

On voit beaucoup de démolition, des entrepreneurs qui achètent des maisons et les laissent dépérir. Ici c’est tout le contraire : les gens de l’île sont généralement fiers de leurs maisons, qu’ils habitent depuis des générations, mais là, ils ne sont plus capables d’entretenir leurs maisons, explique Caroline Roberge.

Une fin heureuse

Dans la petite municipalité de Deschambault-Grondines, qui compte environ 2500 habitants, la protection du patrimoine n’est ni une corvée ni un fardeau. Au contraire, selon son maire Gaston Arcand, c’est une source de richesse.

Ce que ça rapporte, c’est le touriste qui vient, qui consomme, qui fait vivre les commerces de proximité, dit-il.

Non seulement les finances de la Municipalité se portent bien, mais la ville est en pleine expansion, même si ses normes patrimoniales sont parmi les plus strictes du Québec.

La recette du succès? Un travail de fond, commencé dans les années 70, avec le soutien d’une équipe spéciale du ministère de la Culture.

Donald Vézina est responsable du patrimoine et de la culture à la Municipalité de Deschambault-Grondines.

Photo : Radio-Canada

Il a aussi fallu des gens dévoués comme Donald Vézina, responsable du patrimoine et de la culture de la Municipalité. Ce dernier rappelle que Deschambault-Grondines, comme Rome, ne s’est pas construite en un jour.

ans”,”text”:”C’est pas vrai que construire du neuf ça coûte moins cher… pis à une époque où tout le monde pète de la broue sur le développement durable, on construit des édifices qui ont une espérance de vie de 25-30ans”}}” lang=”fr”>C’est pas vrai que construire du neuf ça coûte moins cher… pis à une époque où tout le monde pète de la broue sur le développement durable, on construit des édifices qui ont une espérance de vie de 25-30 ans, affirme Donald Vézina.

Donald Vézina admet que sa ville a bénéficié d’un soutien de Québec qui n’existe plus aujourd’hui, alors que les petites villes comme la sienne manquent de ressources. Mais il demeure convaincu que le patrimoine est un bon investissement à long terme.

Après tout, ces maisons centenaires qui veillent encore sur le Québec en témoignent, tout comme ce vieux presbytère que Claude Arsenault compte léguer à sa fille, remis à neuf, pour la suite du monde.

Le patrimoine québécois en chiffres

  • 586 immeubles et 83 sites classés par le ministère de la Culture et des Communications
  • 844 immeubles et 248 sites désignés par les municipalités
  • 13 sites patrimoniaux déclarés comprenant plus de 10 000 bâtiments
  • 67 000 bâtiments ont été inventoriés depuis 2009

Source : Ministère de la Culture et des Communications


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