La situation dans les pénitenciers pourrait prolonger la crise de la COVID-19

Écrit par sur 22 avril 2020

Ottawa avait promis d’étudier la possibilité de libérer des prisonniers jugés inoffensifs. Le but : protéger les détenus ainsi que les employés et leur communauté. Jusqu’à maintenant, les autorités fédérales tardent à bouger, contrairement à plusieurs États et pays dans le monde.

Voilà maintenant un mois que le premier cas de COVID-19 a été confirmé dans le système carcéral canadien. Les pénitenciers fédéraux en dénombrent maintenant près de 300. Plus du tiers de ces cas sont des employés du Service correctionnel du Canada. Et rien ne semble freiner l’explosion des cas.

Le taux d’infection dans les institutions carcérales est désormais neuf fois plus élevé que dans la population canadienne.

Cela a le potentiel de miner les efforts pour freiner la propagation dans la population et de prolonger la crise, c’est ce que doivent comprendre les autorités, avertit la professeure de droit de l’Université Dalhousie, Adelina Iftene. Le gouvernement doit libérer des prisonniers pendant qu’il est encore temps.

Un agent des services correctionnels surveille une section à sécurité minimale dans un pénitencier de Laval.

Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

Des experts médicaux ont déjà prévenu, ici comme ailleurs dans le monde, que les institutions fermées comme les prisons ont un effet amplificateur sur la propagation du virus dans les communautés.

C’est dans cet esprit que le ministre fédéral de la Sécurité publique y est allé d’un geste inhabituel le mois dernier. Bill Blair a demandé au Service correctionnel du Canada et à la Commission des libérations conditionnelles d’étudier la possibilité de libérer certains détenus pour désengorger les pénitenciers. Que s’est-il produit depuis?

Le ministère fédéral de la Sécurité publique refuse de confirmer si des prisonniers considérés inoffensifs ont été libérés par anticipation.

La Commission des libérations conditionnelles du Canada a simplifié plusieurs de ses processus en réponse à l’augmentation du nombre de demandes de libération conditionnelle et a aidé le Service correctionnel et ses partenaires communautaires, répond par écrit le ministère de la Sécurité publique.

Où est le plan?

Un agent correctionnel entre dans une aile à sécurité minimale pour hommes dans un pénitencier de Laval, au Québec

Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

Avocat spécialisé en droit carcéral, Me Pierre Tabah révèle l’état d’esprit des détenus et de leurs familles qui l’interpellent ces jours-ci. Ils sont en panique, je sens la panique dans les voix, ils ont peur. Alors que la situation se détériore, certains veulent savoir s’ils peuvent être libérés avant la fin de leur peine qui s’achève.

Où est le plan? S’il y en avait un, je pense qu’après trois semaines, ils auraient commencé à faire quelque chose. Je n’ai pas vu de changements concrets au Québec.

Or, des sources indiquent à Radio-Canada que les agents de libération conditionnelle peuvent difficilement analyser en ce moment les cas de détenus qui pourraient être libérés par anticipation.

Ces agents doivent travailler de la maison. Or, indique une de ces sources, le système informatique est trop lent à distance et devient rapidement surchargé. Avant la crise et en temps normal, ils devaient analyser des centaines de cas sur une base mensuelle. La situation est décourageante, explique une autre source au sein de l’organisation qui n’est pas autorisée à parler publiquement.

Pour limiter les conséquences dans les collectivités, des États et des pays ont pourtant trouvé le moyen de libérer des détenus représentant un faible risque pour la société.

Au début d’avril, des prisonniers indonésiens ont été libérés avant la fin de leur sentence pour limiter la propagation du coronavirus.

Photo : Reuters / Antara Foto Agency

Et les exemples ne manquent pas. L’État de la Californie a libéré plus de 3000 détenus. Des pays comme l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Irlande, l’Inde ou encore le Pakistan ont aussi procédé à des libérations, parfois temporaires, avant d’en arriver au plus fort de la crise.

Adelina Iftene est sans équivoque : Étant donné le manque d’action jusqu’à présent et la propagation croissante de la maladie, cette question ne peut plus être confiée au Service correctionnel du Canada.

Plus tôt cette semaine, la professeure de droit a même fait parvenir une lettre à la gouverneure générale, au premier ministre et au ministre de la Sécurité publique, leur demandant d’avoir recours à la prérogative royale de clémence.

Cette mesure n’est accordée que dans des circonstances exceptionnelles. Le gouverneur général ou le gouverneur en conseil peut accorder à des prisonniers la clémence à la suite de recommandations du ministre de la Sécurité publique.

Dans les circonstances, je ne vois pas d’autre option que la prérogative royale de clémence, considère Adelina Iftene qui est consciente que le temps commence à manquer.

Déjà trop tard?

Des fauteuils roulants devant les cellules d’un établissement carcéral fédéral situé à Laval, au Québec.

Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

L’enquêteur correctionnel du Canada, l’ombudsman des détenus, ne s’attend pas à voir une série de libérations à court et à moyen termes. Pourtant, il y en a énormément avant la crise qui auraient pu être mis en liberté, explique Ivan Zinger.

Plus du quart des détenus dans les prisons fédérales sont maintenant des personnes âgées. Ils sont au moins 3500 à faire partie de ce groupe. Étonnamment, un rapport de l’enquêteur correctionnel publié l’an dernier conclut que pour la majorité de ces détenus, la date de leur admissibilité à la libération conditionnelle est passée depuis des années et même des décennies.

Si le Service correctionnel avait été plus ouvert et plus proactif à répondre à nos recommandations, on aurait beaucoup moins de personnes vulnérables dans nos pénitenciers.

Il faut être réaliste, explique Ivan Zinger : Dans une pandémie, réintégrer ces gens-là dans la société c’est très difficile. On ne peut pratiquement pas y arriver sans un plan de réinsertion sociale.

Autre réalité, les structures d’accueil sont presque inexistantes. On s’y prend trop tard, considère Michel Gagnon, de la maison de transition Cross Roads de Montréal.

Accepter en maison de transition des détenus qui seraient libérés est presque impensable, considère Michel Gagnon.

Pour les plus jeunes, on pourrait envisager de les envoyer dans leurs propres familles, si les familles sont prêtes à les accueillir. Les plus vieux doivent absolument aller dans des maisons de transition, sinon c’est un éparpillement épouvantable qui va mal servir tout le monde.

L’attention commence à peine à se tourner vers le système carcéral. Les détenus ont l’habitude du confinement. Mais ces institutions fermées qui servent généralement à protéger la population présentent cette fois un risque pour sa santé.


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