Crise dans les CHSLD : une succession de réformes malavisées

Écrit par sur 6 mai 2020

La réforme mise en place par Gaétan Barrette en 2015, qu’on a beaucoup montrée du doigt ces dernières semaines, s’inscrit dans un continuum, pense Denis Bourque. Le professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais rappelle que le prédécesseur de M. Barrette au poste de ministre de la Santé, Philippe Couillard, avait mené sous le gouvernement de Jean Charest une autre réforme majeure.

La réforme Barrette n’est pas de génération spontanée, c’est la continuité de la réforme Couillard de 2004, avec cette orientation fondamentale d’organiser le réseau de la santé et des services sociaux autour de la mission hospitalière.

C’est dans le cadre de cette première réforme qu’on a créé les Centres de santé et services sociaux (CSSS) regroupant les CLSC, les centres d’hébergement de soins longue durée (CHSLD) et les centres hospitaliers, sur la base des territoires de desserte de ces derniers.

Autrefois affilié au Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de la Vallée-de-la-Gatineau, l’Hôpital de Maniwaki est aujourd’hui un établissement du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais (archives).

Photo : Radio-Canada / Christian Milette

Un avis partagé par Louise Harel, qui était, lors de la réforme de 2004, porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé. À partir de ce moment, les CLSC et les CHSLD sont devenus invisibles dans la structure, déplore-t-elle. On a totalement inféodé ce qui était prévention et services sociaux à l’impératif hôpital.

Cette décision de prioriser les hôpitaux a provoqué dernières années”,”text”:”un recul de la santé communautaire et de la santé publique au cours des 15dernières années”}}” lang=”fr”>un recul de la santé communautaire et de la santé publique au cours des 15 dernières années, croit M. Bourque.

En 2015, le ministre de la Santé de l’époque, Gaétan Barrette, a procédé à une nouvelle réforme qui a entraîné l’abolition des agences régionales de santé et la création de méga-entités, les Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et les Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) regroupant les CHSLD, les CLSC et les hôpitaux, mais aussi les centres de réadaptation et les centres de protection de l’enfance et de la jeunesse.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Gaétan Barrette, répond à une question à l’Assemblée nationale le 12 avril 2017.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

L’objectif de M. Barrette était de rendre le système plus performant et d’économiser 220 millions par année.

Mais qui dit mégastructure dit aussi lourdeur.

L’hypercentralisation du système

Plus une structure institutionnelle publique est grosse, plus elle a besoin de temps pour réagir, souligne Natalie Stake-Doucet, présidente de l’Association québécoise des infirmières et infirmiers. Dans le cas de la COVID-19, il aurait fallu s’adapter rapidement lorsque les premiers cas ont été constatés dans des résidences pour aînés, mais c’est une structure tellement grosse et opaque que c’est très difficile de passer des messages de la base vers le haut.

Avec la centralisation à outrance, il n’y a plus personne qui est responsable de rien. On ne sait plus à qui parler. Les gens délèguent et délèguent, jusqu’à tant qu’on perde le fil d’où venait la tâche.

Des aînés dans un CHSLD.

Photo : Radio-Canada

Il est normal qu’au début de la mise en place de la réforme, les directives soient venues d’en haut, mais à mesure que le temps a passé, il aurait fallu laisser une plus grande liberté aux établissements pour mettre en oeuvre les directives, croit Marie-Pascale Pomey, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Chaque CISSS et chaque CIUSSS a des problématiques spécifiques et il faut être capable de les prendre en compte et lui permettre d’avoir une certaine marge de manoeuvre pour répondre aux réels besoins de sa population, soutient Mme Pomey.

C’est ce qui se passe avec la crise du COVID-19 : toutes les directives viennent d’en haut sans prendre en considération les particularités locales.

Les besoins ne remontent pas rapidement au niveau où se fait la prise de décisions, donc il y a un grand écart et après on se retrouve avec des désastres, souligne-t-elle.

Le manque de cadres

En plus de centraliser les structures administratives, la réforme a entraîné une compression radicale du nombre de cadres dans le milieu de la santé. Quelque 1300 postes ont ainsi été abolis à différents échelons.

gestionnaires. Ces 34personnes sont censées être responsables de la qualité des soins dans l’ensemble du réseau. […] C’est sûr qu’il y a des éléments qui se perdent dans les craques.”,”text”:”La tâche de gestionnaire est devenue essentiellement impossible, avance Natalie Stake-Doucet. Dans la direction des soins infirmiers, on est passé de 130 à 34gestionnaires. Ces 34personnes sont censées être responsables de la qualité des soins dans l’ensemble du réseau. […] C’est sûr qu’il y a des éléments qui se perdent dans les craques.”}}” lang=”fr”>La tâche de gestionnaire est devenue essentiellement impossible, avance Natalie Stake-Doucet. Dans la direction des soins infirmiers, on est passé de 130 à 34 gestionnaires. Ces 34 personnes sont censées être responsables de la qualité des soins dans l’ensemble du réseau. […] C’est sûr qu’il y a des éléments qui se perdent dans les craques.

L’urgence de l’hôpital Jean-Talon à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Pour mettre en place des parcours de soins, pour qu’il y ait une continuité et pour qu’on sache qui fait quoi, il faut quand même un minimum de gens qui planifient et coordonnent, soutient Marie-Pascale Pomey, qui pense que cela aurait été primordial pour faire un meilleur suivi de la trajectoire des patients entre les hôpitaux et les CHSLD.

Le manque de direction locale a nécessairement joué un rôle dans la crise actuelle, croit également Denis Bourque. Ça a affaibli la capacité au plan local de gérer une situation d’urgence comme on vit présentement, affirme-t-il.

La mobilité du personnel

Un autre problème mis en relief par la crise actuelle est celui de la mobilité du personnel, souligne Mme Stake-Doucet. Depuis la réforme, les travailleurs de la santé n’ayant pas de poste fixe peuvent être déployés dans n’importe quel établissement du territoire d’un CISSS.

Ces rotations de personnel ont été décriées par les syndicats comme une source possible des éclosions de la COVID-19 dans les résidences pour aînés.

En temps de pandémie, la mobilité des travailleurs en santé a définitivement contribué à la propagation du virus.

Si les récentes réformes sont responsables de ces déplacements, la méthode de travail Lean, déployée depuis la fin des années 90 et qui tend à rendre les travailleurs et les tâches interchangeables, est aussi en grande partie responsable de la démotivation et, partant, de la pénurie de personnel, pensent les employés.

Infirmières et préposées au soins dans un hôpital.

Photo : Radio-Canada

Ce n’est aucunement valorisant de travailler dans le réseau, croit Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). Quand on est en relation d’aide, il faut prendre le temps d’aider les personnes. Peut-on parler, prendre quelques minutes de plus pour que ce soit plus humain? Avec la logique Lean, c’est comme une chaîne de montage, dénonce celui qui a été préposé aux bénéficiaires au début de sa carrière.

Revoir le modèle

La crise a montré l’importance de donner un coup de barre dans le réseau, en s’attaquant à l’hypercentralisation, au manque de gestionnaires et à la rotation excessive du personnel, pense Denis Bourque.

Il faut prendre acte de l’ensemble de ces problèmes pour amener des changements de structure, avance-t-il. Ça ne peut pas être moins qu’une reconfiguration de la gouvernance et de la structuration du réseau.

Un élément important à prendre en compte est le renforcement des missions telles que la protection de la jeunesse ou l’hébergement des personnes en perte d’autonomie, qui ont été mises de côté pour prioriser l’hôpital. Il faut renforcer la capacité de ces missions de se gouverner et de produire des résultats qui ne sont pas subordonnés à la mission hospitalière, croit M. Bourque.

L’ensemble des activités de prévention des problématiques sociales et d’intervention auprès des communautés ont reculé au Québec ces dernières années, ajoute-t-il.

Le travail accompli par la commission Laurent au cours des derniers mois a d’ailleurs bien montré les ratés du système de la protection de la jeunesse.

Les délais moyens d’attente à la Direction de protection de la jeunesse (DPJ) pour l’évaluation ont fortement augmenté depuis trois ans. Une hausse moyenne de 51 % pour l’ensemble des régions du Québec.

Photo : iStock

C’est un avis partagé par Marie-Pascale Pomey, qui pense que les ressources sont trop souvent concentrées sur les hôpitaux, aux dépens des domaines comme la protection de la jeunesse ou des personnes âgées, vus comme moins prioritaires.

Il faut qu’il y ait une volonté de travailler sur les trajectoires des patients et pas uniquement sur les problèmes aigus hospitaliers.

Plus de démocratie

Ce qui inquiète le plus Louise Harel, c’est l’effacement du volet citoyen dans la santé. Alors qu’avant la réforme de 2004 il y avait de nombreux candidats au conseil d’administration du CLSC, cet intérêt a disparu avec les fusions. Les réformes Couillard et Barrette ont été le cimetière de la participation et de l’implication citoyennes, souligne-t-elle.

La réforme a aboli les conseils d’administration des établissements. Les représentants des citoyens ont ainsi été éliminés, au profit de mandataires nommés par le gouvernement.

C’est un aspect qui inquiète également Denis Bourque. Il faut ramener de la démocratie dans la gouvernance, affirme-t-il.

De plus, affirme M. Bourque, Barrette a fait disparaître: des instances de surveillance et de contre-pouvoir par rapport au ministre et à l’appareil de la santé et des services sociaux. On a besoin de chiens de garde.”,”text”:”il va falloir ramener ce que le DrBarrette a fait disparaître: des instances de surveillance et de contre-pouvoir par rapport au ministre et à l’appareil de la santé et des services sociaux. On a besoin de chiens de garde.”}}” lang=”fr”>il va falloir ramener ce que le Dr Barrette a fait disparaître : des instances de surveillance et de contre-pouvoir par rapport au ministre et à l’appareil de la santé et des services sociaux. On a besoin de chiens de garde.

Avec la collaboration d’Hugo Lavallée


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