COVID-19 : les dirigeants politiques adaptent la stratégie de leur discours

Écrit par sur 26 avril 2020

Informer, anticiper, faire preuve de transparence, mais aussi nous préparer à des mesures qui empiètent sur nos droits fondamentaux… La tâche est loin d’être simple pour les dirigeants politiques.

De quelle manière la pandémie a-t-elle changé la stratégie et le discours de nos gouvernements?

Un virus étranger et des valeurs nationalistes pour le président américain Donald Trump. C’est l’effort le plus agressif et le plus complet que nous ayons à faire pour affronter un virus étranger dans l’histoire moderne.

Un ton martial pour le président Macron, prêt à partir au front. Nous sommes en guerre.

Et un discours promettant la transparence du premier ministre Trudeau. Je pense que c’est important de donner l’information et les gens s’attendent à savoir ce qui s’en vient.

Chaque gouvernement a sa propre stratégie de communication. Tous ont le même objectif.

Le premier ministre du Canada Justin Trudeau.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

La rhétorique politique

Le discours rhétorique a une visée pour convaincre les électeurs, les partisans, la population en générale de la nécessité de certaines mesures, explique le politologue à l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily.

Dans la crise actuelle, l’enjeu de la persuasion, de la mobilisation de l’ensemble des citoyens dans cette lutte contre la COVID-19, c’est un élément essentiel. Donc la rhétorique, ça renvoie à ça, renchérit Olivier Turbide, professeur au Département de communication sociale et publique à l’Université du Québec à Montréal.

Pour réussir leur rhétorique, nos dirigeants doivent penser à trois choses : l’image qu’ils renvoient, être capables de faire appel à la raison des gens, mais surtout les émouvoir pour mobiliser.

Le doux paternalisme de François Legault

Moi je trouve que les Québécois sont vraiment fantastiques!

Le premier ministre du Québec, François Legault, est spontané, il utilise également de l’humour durant ses discours qui misent sur la proximité avec le peuple québécois.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Le ton du premier ministre Legault se veut rassurant et explicatif, selon Olivier Turbide.

On est dans une stratégie où on veut mettre de l’avant sa compassion, son empathie et oui ça peut être vu comme une attitude paternaliste, on parle de nos enfants, nos aînés, mais c’est très efficace sur le plan de la communication. Ça permet de créer un lien, un attachement et une identification à Legault, explique M. Turbide.

M. Legault remercie régulièrement les Québécois pour leur solidarité et leur mobilisation. Je veux rendre hommage à nos aînés. Nos aînés ont bâti le Québec, a-t-il dit en conférence de presse.

Il reconnaît aussi ses responsabilités dans sa gouvernance, par rapport en ce qui a trait aux salaires des préposés aux CHSDL.

J’essayais de repasser dans ma tête et re-repasser dans ma tête ce que j’ai fait depuis un an et demi, je l’avoue et puis je prends la pleine responsabilité, j’aurais dû faire plus, a-t-il reconnu.

On a l’impression d’entrer dans le personnage, c’est pas juste le politicien, le chef d’État, c’est un humain… C’est un facteur d’identification très puissant

Olivier Turbide, Département de communication sociale et publique à l’UQAM

Photo : Olivier Turbide

François Legault adopte aussi une gestuelle en accord avec son image.

C’est une gestuelle assez souple, il est confortable. Comparativement à Trudeau, Legault est assis, ça amène une proximité différente, moins solennelle que Trudeau qui est debout et ne peut pas bouger, analyse M. Turbide.

Une rhétorique de conversation qui permet de faire passer le message, mais aussi de montrer qu’il est en contrôle de la situation.

sound bite“,”text”:”Legault s’adresse à nous, c’est un dialogue avec les Québécois. Pour Trudeau on est plus dans la rhétorique du clip, du sound bite”}}” lang=”fr”>Legault s’adresse à nous, c’est un dialogue avec les Québécois. Pour Trudeau on est plus dans la rhétorique du clip, du sound bite, considère M. Turbide.

L’ingrédient : la confiance

L’ingrédient essentiel pour faire respecter les mesures mises en place, c’est la confiance, explique-t-il, et ceci, les premiers ministres canadiens l’ont bien compris selon lui.

Ils ont pris rapidement conscience que sans cette confiance-là, les mesures qu’ils veulent appliquer ne peuvent pas fonctionner. Et dans ce sens-là on est assez loin de la rhétorique plus guerrière et très conflictuelle d’un Donald Trump aux États-Unis, dit-il.

Pourtant, François Legault aussi mise sur la nation, mais son point fort, c’est son ton rassembleur et son authenticité, estime le politologue Frédéric Boily.

Il mise sur la grande famille nationale québécoise. Je pense qu’il emploie un langage national que d’autres chefs comme Kenney ou Ford n’emploient pas nécessairement, estime-t-il.

De son côté, la politologue à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier, y voit un contraste avec le premier ministre ontarien Doug Ford.

Ce qui est intéressant c’est que ce sont deux hommes d’affaires, mais avec une stratégie de communication totalement différente

En voilà justement un autre qui surprend.

Le ton grave de Doug Ford

Mes amis, nous sommes au milieu d’un combat.

Le premier ministre Doug Ford utilise un ton plus grave et solennel qu’auparavant, mais il a aussi quitté son ton partisan et clivant d’avant la crise.

Photo : Radio-Canada

Ce qui a changé c’est le vocabulaire combatif, il n’est pas à la recherche de dénoncer quelqu’un ou de rejeter le blâme sur quelqu’un d’autre. Il a davantage la posture d’un leader qui représente l’ensemble de la population et qui est là, et moins d’un chef de parti, analyse Mme Tellier.

Vulgariser des informations parfois complexes, trouver des solutions sans jeter le blâme sur quelqu’un et en prenant sa part de responsabilité. Voilà le nouveau Doug Ford.

$ et là c’est une autre stature”,”text”:”Il a presque un ton solennel et grave alors qu’auparavant c’était la Ford Nation, l’inverse, c’est les déclarations fracassantes et les bières à 1$ et là c’est une autre stature”}}” lang=”fr”>Il a presque un ton solennel et grave alors qu’auparavant c’était la Ford Nation, l’inverse, c’est les déclarations fracassantes et les bières à 1 $ et là c’est une autre stature, remarque pour sa part Frédéric Boily.

Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa

Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle

Mme Tellier explique que le premier ministre demeure toutefois fidèle à son image d’un homme porté sur les faits.

M. Ford n’est pas vraiment dans le réconfort de rassurer les gens, c’est plus une personne qui veut être factuelle, présenter la situation telle qu’elle est. On sent aussi l’homme d’affaires. On sent que l’économie c’est important, sans pour autant minimiser l’importance de la santé. C’est le gros bon sens qui le caractérise, indique-t-elle.

Parmi les droites provinciales, le premier ministre albertain, Jason Kenney, s’est aussi démarqué par son ton de prime abord quelque peu partisan.

L’idéologie conservatrice de Jason Kenney

La fin de la pandémie ne sera pas la fin du ralentissement économique en Alberta.

Le premier ministre albertain Jason Kenney est moins rassembleur avec les partis d’opposition que ses homologues québécois et ontarien, il parle également plus d’économie.

Photo : Radio-Canada

Il était encore très combatif au début de la crise, il attaquait même les autres partis d’opposition. Alors que Ford a mis très vite les autres partis avec lui, tous les partis vont dans la même direction, il y a plus de cohésion, dit Mme Tellier.

M. Boily estime aussi que cela a pris plus de temps au premier ministre albertain pour quitter sa stature de chef de parti, qu’il n’a d’ailleurs pas totalement délaissée.

Je pense qu’il est resté dans ses habits de conservateur. Il n’a pas voulu tout de suite les mettre au vestiaire. Le côté partisan n’a pas disparu alors qu’avec les autres le côté partisan a disparu, explique-t-il.

Depuis, Jason Kenney a toutefois changé un peu de ton, pour montrer plus de solidarité avec les autres Canadiens.

L’Alberta s’est retrouvée dans une position pour aider les autres Canadiens, a-t-il dit lorsque sa province a envoyé du matériel médical au Québec et en Ontario.

Mais ce répit de partisanerie ne sera que de courte durée, et ces discours vont encore changer, estiment les experts.

Il va devoir y avoir un changement de discours. C’est-à-dire que le discours de la compassion qui est nécessaire dans un premier temps doit laisser placer à un discours qui va retrouver des accents partisans

Frédéric Boily est professeur en sciences politiques à l’Université de l’Alberta

Photo : Radio-Canada

Déjà ailleurs, on remarque un président français qui a adouci son ton, moins guerrier, plus sobre.

Sachons dans ce moment sortir des sentiers battus, des idéologies et nous réinventer, a-t-il déclaré lors d’un discours à la nation pour préparer les Français au début du déconfinement, à partir du 11 mai.

Justin Trudeau aussi, quitte les yeux de son texte pour dire ce qu’il sait d’ores et déjà par rapport au retour à une vie normale.

Je dois vous le dire : on n’est pas rendus là encore et tout ce qu’on a fait aura servi pour rien, a-t-il dit.

Prochain défi pour nos politiciens : que les efforts consentis et la confiance accordée donnent des résultats.


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