Publication des rapports de l’armée, entre pragmatisme et politique

Écrit par sur 28 mai 2020

Le document militaire portant sur les centres pour personnes âgées de l’Ontario était certainement plus accablant et explosif que celui exposant, une fois de plus, les graves lacunes au Québec. N’empêche, la toute première question posée au premier ministre Legault lors de son point de presse de mercredi fait ressortir le caractère inédit de cette histoire : un rapport militaire sur des CHSLD.

Est-ce que les Forces armées canadiennes ont outrepassé leur mandat en amassant des informations et en faisant rapport au gouvernement fédéral?, s’est fait demander François Legault.

Le premier ministre ne voit pas un affront dans ce geste. Moi, je n’ai pas vraiment appris grand-chose dans ces rapports-là, mais c’est une façon de faire de l’Armée canadienne.

D’un point de vue strictement militaire, il n’y a rien d’anormal à produire ce genre de rapports, bien au contraire. C’est obligatoire, explique Gaston Côté, brigadier général à la retraite des Forces armées canadiennes. Dans toute chose qui est opérationnelle, on a une procédure d’évaluation, et au fur et à mesure que la mission avance, il y a toujours une évaluation. Qu’il y ait des rapports, ça correspond à tous les critères.

Les obligations légales et d’ordre éthique avec lesquelles doivent composer les militaires sont aussi à prendre en considération. Et le ministère de la Défense tient à le préciser.

En outre, les fournisseurs de soins de santé autorisés des Forces armées sont obligés, selon la loi et en vertu de leurs normes professionnelles, de signaler toute situation qui soulève des inquiétudes quant à la conduite ou à la pratique professionnelle d’un travailleur de la santé.

Les questions qui se posent ne sont pas tant sur la production des rapports que sur la façon dont ils ont été rendus publics.

Le professeur Stéphane Roussel de l’École nationale d’administration publique (ENAP) fait ressortir la particularité de ce qui s’est produit cette semaine. Ils ont l’obligation de signaler, mais ça ne veut pas dire de signaler au public. Habituellement, la plupart des signalements se font dans l’organisation même et ça reste au sein des Forces.

Une page du rapport des Forces armées canadiennes sur la situation dans les centres de soins de longue durée.

Photo : Défense nationale du Canada

Pourquoi avoir dévoilé publiquement ces rapports? On peut envisager deux scénarios. Le premier est préventif. La publication des documents permet d’avoir un meilleur contrôle sur le message et de jouer la carte de la transparence, croient certains, dont Stéphane Roussel.

Du côté du ministre de la Défense et du bureau du premier ministre à Ottawa, on s’est peut-être dit : quand tu as une bombe, tu préfères peut-être la désamorcer tout de suite, avant que quelqu’un mette la main là-dessus.

Ces rapports peuvent aussi servir à ouvrir la voie à des négociations entre Ottawa et les provinces. Leur publication, rappelle Gaston Côté, arrive alors que le gouvernement fédéral répète qu’il faut avoir une discussion sur les soins aux aînés. Il faut s’attendre à ce que les provinces demandent plus d’argent.

Il faut bien réaliser que les Forces armées sont apolitiques. Ça me dit qu’il y avait certainement quelque chose de politique derrière ça. Ça alimente justement ce volet-là.

Peu de gens s’attendaient à ce que l’appel des provinces pour l’armée aboutisse à des rapports qui feraient les manchettes.

Plusieurs diront que des réalités avaient déjà été exposées dans le passé. Mais dans cette pandémie qui a mis plus d’une fois en lumière la fragilité des services dans les centres de soins de longue durée, ces pages militaires vont peut-être, qui sait, contribuer à changer les choses.


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