La Loi sur les mesures d’urgence, c’est quoi au juste?

Écrit par sur 24 mars 2020

Jour après jour, une question revient continuellement : Ottawa doit-il avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence? Le gouvernement Trudeau ne ferme toujours pas la porte à cette possibilité. Les avantages et les inconvénients d’une loi qui n’a jamais été utilisée.

Trente-deux ans plus tard, le texte de la Loi sur les mesures d’urgence est dépoussiéré.

Prendre des mesures temporaires spéciales qui peuvent ne pas être appropriées en temps normal. Voilà ce qu’indique le préambule de cette loi promulguée en juillet 1988 par le gouvernement de Brian Mulroney.

Cette législation remplaçait la Loi sur les mesures de guerre, celle invoquée pendant la crise d’Octobre, au Québec.

Si la loi de 1988 permet à Ottawa de prendre le contrôle en se donnant des pouvoirs exceptionnels, sa portée est toutefois plus limitée que celle sur les mesures de guerre. Elle spécifie que toute intervention du gouvernement est soumise à la Charte canadienne des droits et libertés. Et Ottawa doit obligatoirement consulter les provinces.

Un soldat monte la garde à une intersection du centre-ville de Montréal lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur les mesures de guerre, en octobre 1970.

Photo : Associated Press

La Loi sur les mesures d’urgence peut permettre notamment de réglementer ou d’interdire les déplacements des citoyens entre les provinces et de réquisitionner, par exemple, des édifices et des lieux pour les transformer en abris ou en hôpitaux. Elle donnerait à Ottawa le pouvoir d’ordonner à toute personne compétente de fournir des services essentiels.

Ça me semble assez inévitable. On va devoir en venir là. Je ne vois pas comment on pourrait s’en sortir autrement, croit le directeur de l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary, Pierre-Gerlier Forest.

Cet ancien scientifique en chef de Santé Canada croit que d’invoquer la Loi fédérale entraînerait une plus grande cohésion et uniformité des messages, ce qui est en ce moment critique selon lui.

La circulation des personnes entre les provinces me préoccupe, l’idée qu’on laisse à toutes les administrations provinciales et territoriales décider comment elles vont gérer ça, ce n’est probablement pas très sain, soutient M. Forest.

Un point de contrôle a été établi au pont de la Confédération. L’Île-du-Prince-Édouard contrôle chaque personne entrant dans la province et les résidents ayant séjourné ailleurs au Canada doivent s’isoler pendant 14 jours.

Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan

Ottawa va-t-il franchir cette frontière?

Comme cette loi n’a jamais été appliquée, elle place le gouvernement fédéral en territoire inconnu, croit le professeur de l’Université de Brandon, au Manitoba, John Lindsay, un spécialiste des mesures d’urgence.

La barre pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence est assez haute, estime-t-il.

Si on interprète bien la loi, le gouvernement fédéral ne peut déclarer une urgence nationale à moins d’avoir mené des consultations importantes avec les provinces et peut difficilement prendre des mesures qui interfèrent avec les actions provinciales, énumère M. Lindsay.

Ce spécialiste des mesures d’urgence voit peu d’avantages pour Ottawa de l’invoquer à moins qu’il s’en tienne à un rôle de coordination, puisque de nombreux éléments de la loi fédérale sont déjà couverts par les législations provinciales.

Toutefois, selon Pierre-Gerlier Forest, sans l’intervention de la loi fédérale, un danger guette les plus petites provinces et les territoires qui auront besoin d’outils supplémentaires pour mieux affronter la pandémie : Les moyens ne sont pas répartis également dans la fédération. Je n’ai pas d’inquiétudes particulières pour les quatre grandes provinces, elles ont les moyens de leurs politiques. Mais les provinces plus petites ont des problèmes de capacités.

Selon lui, cet argument suffit pour qu’Ottawa impose la Loi sur les mesures d’urgence.

Le professeur Philippe Lagassé, de l’Université Carleton, croit qu’à l’extérieur du Québec, une directive d’Ottawa pourrait potentiellement être davantage prise au sérieux que si elle venait des provinces. La perception des citoyens envers leurs différents ordres de gouvernement n’est pas la même partout, note-t-il.

Est-ce que les gens prennent ça au sérieux si ce n’est pas le gouvernement fédéral qui s’exprime? Au Québec, la compréhension du pouvoir gouvernemental et étatique est différent de celle du Canada anglais.

Le casse-tête parlementaire

Les sièges vides des députés à la Chambre des communes à Ottawa

Photo : Radio-Canada / Benoit Roussel

La loi de 1988 comporte de nombreuses balises qui empêchent le gouvernement fédéral d’agir seul. Elle prévoit que le Parlement joue un rôle de rempart pour empêcher les glissements et les abus.

Faire abstraction de cet enjeu est impensable, explique Philippe Lagassé. Il faut que le Parlement soit en session pour surveiller cette loi. Un comité doit être mis en place pour surveiller les mesures tout au long de l’opération et le Parlement doit siéger pour donner son approbation, soutient-il.

Même s’il ne semble pas y avoir d’engouement immédiat de la part des provinces, la réalité parlementaire démontre que cette question ne peut se régler en criant ciseau. En ce moment, note Philippe Lagassé, ce n’est pas clair qu’on peut avoir un parlement qui fonctionne par Skype.

C’est possiblement pour toutes ces raisons que le gouvernement fédéral ne se gêne pas pour répéter depuis quelques jours que la mise en place de cette loi constitue un exercice de dernier recours.


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