Réduire la taille du conseil à Toronto n’a pas mené aux économies promises par Doug Ford

Écrit par sur 19 février 2020

Le coût de l’administration municipale à Toronto a baissé depuis que Doug Ford a amputé unilatéralement de presque de moitié la taille du conseil municipal, mais on est bien loin des économies promises par le chef conservateur.

Le premier ministre Ford faisait miroiter des économies de 25 millions de dollars sur quatre ans lorsqu’il a mis son plan de l’avant en 2018, en pleine campagne électorale municipale.

Or, une analyse des dernières données financières de la Ville Reine révèle que les dépenses annuelles du conseil ont baissé d’environ 1 million seulement, après la réduction du nombre de sièges.

En effet, la masse salariale a diminué d’environ 2,5 millions par année, étant donné qu’il y a presque la moitié moins de conseillers. En revanche, les dépenses des élus ont doublé, augmentant de 1,4 million.

La raison principale : les 25 nouveaux conseillers ont embauché plus d’assistants pour s’acquitter des tâches assumées auparavant par 44 échevins.

Ça n’a jamais été une question d’argent. Doug Ford méprise les Torontois et c’est ce qu’il voulait montrer [en amputant le conseil municipal].

Lorsque le premier ministre Ford a sabré unilatéralement le nombre de sièges au conseil à quelques mois des élections municipales d’octobre 2018, nombre d’élus l’ont accusé de chercher à se venger, après que lesconseillers eurent retiré à son frère Rob Ford la plupart de ses pouvoirs de maire en 2013.

Saga judiciaire

Toronto a contesté devant les tribunaux la refonte de la carte électorale municipale imposée par le gouvernement Ford.

Le maire de Toronto John Tory (à g.) et le premier ministre Doug Ford (archives).

Photo : La Presse canadienne / Tijana Martin

La Ville a gagné la première manche, mais M. Ford a eu gain de cause en appel, après avoir menacé d’utiliser la disposition de dérogation de la Charte canadienne s’il n’était pas victorieux.

Les élections municipales de 2018 ont été disputées avec 25 arrondissements, alors que la carte électorale devait passer de 44 à 47 sièges pour le scrutin, afin de mieux refléter la croissance de la population torontoise.

Toronto demande maintenant à la Cour suprême de se pencher sur la question.

[La décision du gouvernement provincial] était inéquitable, non nécessaire et sans précédent.

On ne sait pas quand la Cour suprême annoncera si elle entendra la cause ou non.

Pour sa part, le gouvernement Ford répond qu’il cherchait à faire correspondre les frontières des arrondissements municipaux à celles des circonscriptions provinciales et fédérales.

Nous avions promis en campagne de réduire la taille et les coûts du gouvernement et de mettre fin à la culture du gaspillage et de la mauvaise gestion. C’est exactement ce que nous avons fait.

Quant aux économies que la réduction de la taille du conseil devait générer, Mme O’Driscoll affirme ceci : Nous incitons constamment les gouvernements locaux à rationaliser la gouvernance locale.

La porte-parole provinciale ajoute que Toronto a trouvé des millions en économies dans son budget, grâce à l’aide financière fournie par le gouvernement aux municipalités pour qu’elles réalisent des audits de leurs dépenses. Ces économies ne sont pas liées toutefois à la réduction de la taille du conseil.

Des conseillers partagés

La conseillère municipale de Toronto Paula Fletcher explique que ses collègues et elle ont besoin de plus de personnel pour desservir les nouveaux arrondissements qui sont presque deux fois plus populeux. C’est le double du travail, lance-t-elle.

Les conseillers se sont ainsi octroyés une augmentation de budget pour les fournitures de bureau, les communications et l’embauche d’assistants, notamment, après être entrés en poste en décembre 2018. Le nombre d’employés par élu, qui était de 3 à 4 auparavant, est maintenant de 5 à 9.

Pour Mme Fletcher, ce n’est donc « pas une surprise » que les économies promises par Doug Ford ne se sont jamais matérialisées.

Son collègue Stephen Holyday rétorque que les conseillers n’avaient pas besoin de doubler leur budget. Il a voté contre la motion à ce sujet.

Une modeste augmentation du budget de chaque conseiller aurait suffi pour avoir un peu plus de personnel de soutien, afin de desservir un secteur élargi.

Les responsabilités législatives des conseillers sont restées largement les mêmes, ajoute-t-il.

Le conseiller Perks raconte, lui, qu’il ne peut plus discuter aussi souvent avec les résidents et les commerçants de son quartier, parce qu’il doit couvrir un territoire beaucoup plus grand. J’envoie mes assistants [aux assemblées], dit-il, mais ce n’est pas comme se parler de vive voix.

Sur ce point, Stephen Holyday est d’accord. Comme le secteur à desservir est plus grand, il n’est plus capable d’assister à tous les événements et assemblées publiques auxquels il est convié dans son quartier. Comme je ne peux pas être à deux endroits en même temps, je dois parfois décliner des invitations, dit-il.

Lorsqu’un résident a un refoulement d’égout dans son sous-sol, il a besoin d’aide rapidement, renchérit la conseillère Fletcher. Je peux appeler directement [en tant que conseillère] le gestionnaire du service des eaux usées, pas mes assistants.

De son côté, le conseiller Michael Ford, le neveu du premier ministre Ford, a affirmé ne pas avoir le temps de répondre aux questions de Radio-Canada sur le sujet.

Un conseil moins « dysfonctionnel »?

En 2018, le premier ministre Ford avait justifié également sa décision de réduire la taille du conseil municipal de Toronto par le fait qu’à ses yeux, il y avait trop d’échevins et que le conseil était « dysfonctionnel ».

À cet égard, les conseillers Perks et Fletcher admettent que les réunions du nouveau conseil sont moins longues. Rapidité n’est pas gage de qualité, affirme toutefois le conseiller Perks.

Le conseil municipal de Toronto compte 25 conseillers, en plus du maire John Tory.

Photo : Radio-Canada

Son collègue Stephen Holyday pense le contraire. Il affirme que le conseil est « plus efficace ».

Il ajoute que la refonte a facilité « l’accès au processus démocratique ». Un résident qui veut assister à une rencontre de son conseil d’arrondissement n’a plus besoin de perdre une journée à cet effet, dit-il.

Pour le politologue Greg Flynn de l’Université McMaster de Hamilton, la réduction de la taille du conseil de Toronto constitue au contraire un « appauvrissement de la démocratie », même si la plupart des résidents n’en ressentiront pas les effets, selon lui.

On oublie que les élus ne sont pas là uniquement pour approuver des motions. Ils sont aussi là pour nous représenter.

Parmi les dix plus grandes villes au pays, Toronto est maintenant celle où chaque conseiller représente le plus grand nombre de résidents, soit environ 105 000 par élu.

À l’opposé, chacun des conseillers à Montréal représente environ 16 500 habitants.

Malgré cette situation, le professeur Flynn pense que la Cour suprême se rangera « probablement » du côté du gouvernement Ford plutôt que de Toronto, si elle accepte d’entendre le recours de la Ville, car les municipalités sont des créatures des provinces au sens de la loi, et sont donc assujetties aux décisions des gouvernements provinciaux.


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