Des critères « archicomplexes » pour toucher les primes, dénoncent des syndicats

Écrit par sur 12 mai 2020

Cette prime peut grimper jusqu’à 3000 $ par mois pour certaines personnes, engagées notamment dans les CHSLD, si elles travaillent en zone chaude, c’est-à-dire sur les étages ou dans les zones de confinement qui ont été mis en place pour isoler les personnes déclarées positives à la COVID-19.

Pour le personnel des centres hospitaliers du Grand Montréal, cette prime peut grimper jusqu’à 1000 $. On parle également de 500 $ supplémentaires par semaine pour les salariés du réseau qui veulent venir travailler à Montréal, à Laval ou en Montérégie.

Mais dans les faits, qui pourra en bénéficier?

Une course à obstacles

L’arrêté ministériel, daté du 10 mai et rendu public le lendemain, ainsi que le guide destiné aux employeurs qu’a pu consulter Radio-Canada ouvrent la porte à de nombreuses interprétations, déplorent des syndicats qui avaient salué initialement cette mesure gouvernementale, alors que des milliers de travailleurs manquent actuellement dans le réseau de la santé.

Plusieurs conditions pour l’octroi de ces sommes sont évoquées.

C’est tellement restrictif, il y a tellement de conditions qu’au final beaucoup n’y auront pas droit. C’est un peu absurde, avance Daniel Boyer, président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ).

Plus de 11 000 absents

En date du 10 mai, 11 356 employés étaient absents dans le réseau de la santé, sur l’ensemble du Québec, pour des raisons liées à la COVID-19, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). 5080 personnes sont atteintes de la COVID-19, et 2421 personnes étaient en processus de dépistage. Pour les autres, elles sont en isolement préventif, en retrait préventif ou sont atteintes de maladies chroniques ou immunosupprimées, détaille un porte-parole du MSSS. Ces chiffres sont en augmentation depuis plusieurs semaines et le premier ministre Legault a déjà évoqué une situation « très tendue ».

Dans un premier temps, seuls les employés concernés qui sont dans un établissement désigné par le gouvernement pourront bénéficier de la prime. Cette liste n’est pas encore connue, selon Josée Marcotte, vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN).

On dit qu’on injecte beaucoup de sommes d’argent, mais c’est une véritable course à obstacles pour en bénéficier.

Le nombre de jours travaillés dans les milieux visés est par exemple important.

Une infirmière ou un préposé qui ne travaille que deux jours dans la semaine dans une zone chaude ne pourra avoir droit à ces montants. Cette personne doit travailler plus de la moitié des heures régulières dans l’établissement désigné, peut-on lire dans ce guide de référence réalisé par le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS), qui est sous l’autorité du gouvernement.

Par la suite, ces montants forfaitaires sont alors payés au prorata des heures travaillées dans ce milieu, est-il indiqué dans ce document.

Si une personne est en congé de maladie durant une journée dans la semaine, elle est non admissible à ces primes pour cette période, bien qu’elle ait travaillé le reste du temps en zone chaude.

C’est assez malsain. Ça veut dire qu’une personne qui doit se reposer après plusieurs jours ne pourra pas le faire, sinon elle va perdre sa prime, juge Daniel Boyer.

Les congés fériés et les vacances annuelles n’empêchent pas, quant à eux, les employés de bénéficier de ces primes.

Si un travailleur refuse par ailleurs un déplacement intra ou inter établissement, la personne salariée perd le bénéfice de tous les montants forfaitaires pour la période en cours et les suivantes, et ce, même si elle respecte les conditions d’éligibilité dans un autre établissement, peut-on lire dans ce guide.

Pour avoir droit au montant de 500 $ par semaine pour les travailleurs venant prêter main-forte à Montréal ou à Laval, par exemple, ceux-ci doivent se déplacer à plus de 70 km de leur domicile et travailler à temps complet.

Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas avec ces conditions. C’est trop restrictif. Il valait mieux dans ce cas augmenter directement le salaire des gens, selon leur quart de travail. Je ne suis pas sûr que ces primes auront un attrait.

Du côté du gouvernement, on soutient vouloir mettre de l’avant le travail à temps à plein.

L’objectif de l’arrêté ministériel est de favoriser une prestation de travail à temps complet dans des lieux identifiés (CHSLD et centre hospitalier). Chaque situation fera l’objet d’une analyse par l’employeur selon les modalités prévues à l’Arrêté.

Quels métiers ont droit à ces primes?

Plusieurs titres d’emploi sont visés par ces primes. On y retrouve les infirmiers, les infirmiers auxiliaires, les inhalothérapeutes, les externes en soins infirmiers et en inhalothérapie, les préposés aux bénéficiaires et à l’entretien ménager, les aides de service et les auxiliaires aux services de santé et sociaux.

Des travailleurs inquiets

Souhaitant rester anonymes, par peur de représailles de leurs employeurs, plusieurs travailleurs du réseau de la santé ont écrit à Radio-Canada pour déplorer ces différents critères.

Ils disent mettre ces primes pour qu’on reste. Mais ces calculs machiavéliques, ça fait fuir, indique un infirmier d’un hôpital montréalais. C’est une goutte d’eau qui fait déborder le vase, regrette une préposée. Notre quotidien est déjà pénible, et là, ça donne l’impression qu’on fait tout pour qu’on ne touche rien.

C’est illogique et révoltant, clame une autre infirmière œuvrant à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval. On n’est pas des anges gardiens, on est des travailleurs, on veut être respectés, lance une auxiliaire.

On risque nos vies et on pose toutes ces conditions. Pourquoi fait-on ça? On a l’impression de se faire avoir.

Ces critères, ça devient tellement restreignant que c’est presque insultant, ajoute une infirmière qui s’est portée volontaire, il y a plusieurs semaines, pour travailler dans la métropole.

Ce qu’on se fait dire par nos membres, c’est que “les primes nous dépriment”, soutient Josée Marcotte. On aurait besoin d’une gestion plus humaine. On parle de personnes qui sont déjà épuisées et on met des conditions archicomplexes. Est-ce qu’on va vraiment soulager le réseau comme ça?


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